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Aucune excuse pour le recul dans la transparence de contrats extractifs en République Démocratique du Congo

La République Démocratique du Congo (RDC) a fait des progrès significatifs en matière de divulgation des contrats extractifs. On aurait donc pensé qu’elle serait en bonne voie pour devenir l’un des pays modèles en Afrique subsaharienne en la matière. Aucune excuse, même pas les effets économiques de la pandémie de coronavirus ou encore la configuration politique issue de dernières élections de décembre 2018, ne saurait justifier la marche arrière en matière de transparence des contrats que voudrait faire la RDC.
 
En effet, le gouvernement congolais a clairement exprimé, lors des négociations de septembre 2020 avec le Fonds Monétaire International (FMI) sa décision de ne pas publier tous les contrats extractifs manquants. Cette décision est un véritable recul qui viole les dispositions légales et règlementaires en la matière. Les lois de la République enjoignent aux nouvelles autorités au pouvoir depuis janvier 2019 l’obligation de poursuivre avec la publication exhaustive et régulière de tous les contrats extractifs signés par les entreprises du portefeuille de l’Etat ainsi que ceux signés avant l’accession au pouvoir du Président Félix-Antoine Tshisekedi, conformément au principe fondamental de continuité des services publics de l’Etat.
 
En 2011, la RDC se dotait pour la première fois d’un cadre juridique sur la transparence des contrats extractifs. Le décret n° 011/26 du 20 mai 2011 a rendu obligatoire la publication de tout contrat ayant pour objet la recherche, l'exploration ou l'exploitation d'une des ressources naturelles (minières, pétrolières et forestières) dans les 60 jours qui suivent sa signature. Par la suite, le code minier révisé de 2018 et la loi n° 15/012 du 1er août 2015 portant régime général des hydrocarbures ont repris cette obligation de divulguer les contrats endéans 60 jours de leur signature.

Des progrès significatifs depuis 2016 mais pas suffisants

Depuis son engagement en RDC, Natural Resource Governance Institute (NRGI) et plusieurs autres organisations de la société civile œuvrant au Congo ont toujours soutenu la divulgation des contrats extractifs. En 2016, NRGI a accentué son engagement en mettant en place un programme spécial de plaidoyer en vue, d’une part, de renforcer la divulgation régulière et complète des contrats extractifs, et d’autre part, d’améliorer la pratique existante de divulgation. Au cours de la même année, un partenariat fut formalisé entre le ministère des mines, à travers la Cellule technique de coordination et de planification minière (CTCPM) et NRGI. Dans ce cadre, un nouveau portail dédié à la divulgation des contrats en RDC a été développé et est devenu fonctionnel en mars 2017.
 
Au lancement dudit portail, seuls 83 documents contractuels, dont 75 contrats miniers et huit contrats pétroliers, étaient dans le domaine public. A ce jour, 204 documents contractuels sont publiés sur ce portail dédié à la RDC dont 182 pour le secteur minier et 22 sur les hydrocarbures. Ces chiffres reflétaient déjà les efforts du gouvernement congolais à mettre en œuvre le cadre légal en vigueur en matière de divulgation des contrats extractifs. C’est sur cette lancée qu’au cours de la semaine du 14 septembre 2020, la CTCPM a encore publié quatre nouveaux contrats ci-après :
  • Acte de cession du Permis d’exploitation du 12 août 2019 entre la Société Minière de Kilo-Moto (SOKIMO), cédant et KODO RESOURCES SARL, Cessionnaire, Relatif aux Permis d’Exploitation 5078, 5079 et 5081 sur le site de ZANI KODO.
  • Protocole d’accord du 18 janvier 2020 entre la Société Minière de Kilo-Moto et AJN Resources portant conversion en Actions à la Bourse des Valeurs du Canada de certains intérêts de la SOKIMO dans certains projets miniers en vue d’avoir accès à des financements « Cash-flow ».
  • Contrat d’association du 5 juin 2019 entre la Société Minière de Kilo-Moto et PIANETA Mining and Trading Sarl relatif à la construction d’une société commune pour l’exploitation des gisements d’or et des substances associés de « KODO RESOURCES ».
  • Contrat de partenariat du 12 février 2020 entre la Société Minière de Bakwanga « MIBA » et AM International Development & Investment.
En dépit de ces progrès, plusieurs autres contrats signés et documentés par NRGI et d’autres organisations non gouvernementales ne sont toujours pas publiés. C’est le cas, à titre d’exemple, de :
  • l’Accord mettant fin à un litige entre la GECAMINES et Groupement pour le traitement du Terril de Lubumbashi (GTL), dans lequel la première acquiert la pleine propriété de l’usine de traitement dont le Groupe Forest détenait 70% en échange de transfert par la Gécamines de 30% de parts détenues dans la société congolaise pour le traitement du Terril de Lubumbashi SAS au profit du Groupe Forest. 
  • l’Accord transactionnel commun conclu le 12 juin 2018 par la Gécamines avec sa filiale Société Immobilière du Congo (SIMCO), Katanga Mining Limited et certaines de ses sociétés affiliées (le « Groupe Katanga ») ainsi que leur société commune Kamoto Copper Company (KCC).
  • l’Accord commercial préliminaire signé à Luanda le 27 janvier 2015 par le président du Conseil d'administration de la société nationale angolaise des hydrocarbures (Sonangol EP), Francisco de Lemos José Maria, et les directeurs généraux et de production et d'exploration de la Congolaise des Hydrocarbures (Cohydro SA), respectivement Liliane Ilunga et Louis-Gérard Vununu, sur l'exploitation conjointe des hydrocarbures dans la zone désignée d’intérêt commun (ZIC).
  • le Contrat de partenariat conclu par la SOKIMO en 2018 avec la société australienne Vector Resources et Mongbwalu Goldmines de création de la Société « Adidi Kanga Resources », AKR en sigle sur le projet Mongbwalu que détenu jadis par Anglogold Ashanti.

Tendance de course vers le bas

La gouvernance du secteur extractif reste importante considérant que l’économie du pays est très dépendante de ses ressources naturelles, en particulier les minéraux de cuivre et de cobalt qui représentent respectivement 50 % et 35 % du total des revenus miniers en 2018, tandis que la contribution du secteur extractif aux exportations a représenté plus de 90 % au cours des cinq dernières années, selon le rapport n°19/285 du Fonds monétaire international (FMI) du 5 août 2019.
 
Dans le cadre des discussions sur le programme de référence conclu avec la RDC en décembre dernier, le Conseil d’administration du FMI a mis en avant la pertinence de la divulgation de tous les contrats extractifs pour son rôle crucial dans le renforcement de la transparence et la redevabilité dans la gestion des ressources naturelles. Cet engagement a été encore rappelé par le FMI lors de l’approbation d’un décaissement de 363,27 millions de dollars en faveur de la RDC pour l’aider à faire face à la pandémie de COVID-19. Cependant, il ressort de la déclaration faite le 15 septembre 2020 par le représentant résident du FMI en RDC, Philippe Egoume, qu’une divergence persiste entre le gouvernement congolais et le FMI. Le gouvernement voudrait ainsi exclure la divulgation de tous les anciens contrats (conclus sous l’ancien régime). En analysant les quatre documents contractuels récemment publiés, il apparait qu’ils sont tous signés après l’alternance politique au sommet de l’Etat. Une telle course vers le bas comporte malheureusement plusieurs risques pour l’amélioration de la gouvernance du secteur extractif et contrarie principalement les deux aspects suivants :

L’obligation de divulgation des contrats extractifs dans le cadre légal de la RDC 
Plusieurs textes et dispositions juridiques en RDC font de la transparence des contrats extractifs ainsi que leurs avenants et annexes une obligation du gouvernement et de ses démembrements. Un délai de 60 jours francs, qui suivent la date d’entrée en vigueur ou d’approbation du contrat signé, est accordé au ministre en charge du secteur duquel relève l'administration de la ressource naturelle concernée pour le publier sur son site Internet.
 
Le principe fondamental de la continuité des services publics de l’Etat
Le droit congolais prévoit que le service public est continu et assuré en permanence dans toutes ses composantes. Le principe fondamental de la continuité des services publics de l’Etat bat en brèche une quelconque exclusion de la divulgation des contrats motivée par une alternance au pouvoir et serait un mauvais précèdent.
 
En plus, les effets juridiques, environnementaux, fiscaux et sociaux de projets extractifs se font sentir même au-delà de leur cycle. Le cas du contrat signé entre la RDC et l’Association Divine Inspiration Group (PTY) Ltd et la Société Nationales des Hydrocarbures du Congo (SONAHYDROC) sur les blocs huit, 23 et 24 de la Cuvette Centrale de la RDC est assez éloquent pour illustrer cette assertion. Les conséquences de ce contrat signé en 2007, mais dont l’ordonnance d’approbation n’a été signée qu’en décembre 2018, soit 11 ans après, continuent à peser sur la RDC, qui devra indemniser DIG Oil la somme de 617.400.178 USD augmentée des intérêts sur base de la sentence arbitrale de la Cour Internationale d’Arbitrage. (Cour Internationale d’Arbitrage, Sentence Finale (ICC BAR N°22370/DDA) dossier opposant Divine Inspiration Group (Demanderesse) et la République Démocratique du Congo (Défenderesse), 7 novembre 2018.)
En considération donc de risques évoqués ci-haut ainsi que les discussions en cours avec le FMI, il apparaît dès lors plus qu’urgent pour que le gouvernement congolais applique ses lois ainsi que ses engagements internationaux en matière de transparence du secteur extractif.

Descartes Mponge Malasi est chargé de programmes pour la RDC chez Natural Resource Governance Institute (NRGI).

Photo : MONUSCO Photos.