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Contrôle parlementaire des industries extractives au Burkina Faso : Entretien avec l’Honorable Karidia Zongo-Yanogo

Au début du mois d’aout, 34 participants venant de 9 pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale ont pris part à la 8e Session de l’Université d’été sur la gouvernance des industries extractives organisée par Natural Resource Governance Institute et l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC) dans le cadre du Centre d’Excellence pour la Gouvernance des Industries Extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF) à Yaoundé, Cameroun. J’ai eu l’occasion d’échanger avec l’une des participantes, Mme Zongo-Yanogo, Député à l’Assemblée Nationale du Burkina Faso et ingénieur hydrogéologue de formation. Le Burkina Faso, pays riches en ressources minières dont principalement, l’or, le zinc, le cuivre, le manganèse, le phosphate et le calcaire. Notre entretien a porté sur une initiative inédite au Burkina, la commission d’enquête parlementaire sur le secteur extractif, et les perspectives ouvertes par la formation.
 

Christophe Tiyong : En 2016, le parlement au niveau du Burkina Faso a mené une enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières. Pouvez-vous nous parler de cette initiative qui est assez rare en Afrique Francophone ? Qu’est-ce qui a motivé le parlement ?
 
Mme Zongo-Yanogo : Depuis que l’exploitation de l’or a commencé au Burkina Faso les populations disent toujours « on ne sent pas les retombées de l’or ». Au contraire il y a beaucoup de plaintes des populations ; les conflits entre les sociétés minières et les communautés sont récurrents. Sur le plan de l’environnement, on a vu sur certains sites des fosses béantes qui sont abandonnées par les entreprises minières. Dans le cadre de nos prérogatives de contrôle de l’action gouvernementale qui constitue un axe important de notre Plan stratégique 2016-2020 et ayant à cœur ces préoccupations, le parlement a été unanime, en 2016, par résolution n°019-2016/AN du 12 avril 2016, de mettre en place une commission d’enquête. Depuis 2009, la question minière est devenue essentielle pour nous. L’or est passé premier produit d’exportation du Burkina, devant le coton. Nous avons voulu comprendre le paradoxe entre cette richesse et les plaintes des populations. En plus des scandales politico-judiciaires dans le secteur ont entrainé le pays devant les tribunaux internationaux à travers des procès qui nous ont fait perdre des milliards de FCFA. Des contrats ont été signés, retirés, et remis à d’autres entreprises minières par le truchement de comportements que j’allais dire pas trop orthodoxes de nos responsables, de nos ministres des finances et des mines de l’époque. La commission d’enquête était composée d’une équipe de dix députés qui représentent la configuration des groupes parlementaires de l’Assemblée Nationale.
 
A l’issue de cette enquête, vous avez produit un rapport avec plusieurs recommandations. Avez-vous le sentiment aujourd’hui que ces recommandations sont en train d’être mises en œuvre ?
 
Tout à fait. Après publication du rapport, un comité de suivi composé de six députés a été mis en place. Je suis membre de ce comité. Nous avions d’abord 2 ou 3 résolutions vis-à-vis de l’Assemblée Nationale et une soixantaine de recommandations au gouvernement. Le parlement devait entre autres adopter une loi pour la prise en compte de certains aspects de notre rapport. Pour ce qui concerne les recommandations au gouvernement, après transmission du rapport nous avons eu ensemble des séances de travail. Ensuite le gouvernement s’est exécuté. Je précise que certaines recommandations connaissaient déjà un début de mise en œuvre sur initiative du gouvernement. A ce jour, 49% des recommandations sont déjà mises en œuvre, 38% sont en cours et 13% en attente d’exécution.
 
Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos recommandations au gouvernement ?
 
Dans l’une de nos recommandations, nous demandions au gouvernement d’ouvrir une enquête judiciaire sur la responsabilité des anciens ministres des mines, pour les premiers contentieux sur TAMBAO, et celui des Finances sur la gestion et la destination du bonus versé par la société PAN African. Nous avons aussi demandé que le ministère des mines renforce ses compétences, son personnel, etc. Le gouvernement a mis à la disposition du ministère des mines 1 milliard de francs CFA pour renforcer le personnel. Ensuite, pour les cas emblématiques dont je vous ai parlé, les procédures judiciaires ont été engagées.
 
Nous nous sommes intéressés aussi au secteur de l’orpaillage et avons demandé qu’il soit mieux organisé. A la suite de l’enquête, le ministère des mines et des carrières a accéléré la mise en place de l’ANEEMAS (Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées). Une loi sur la commercialisation de l’or qui avait été ajournée par l’Assemblée nationale en attente des conclusions de l’enquête parlementaire, a été réexaminée et votée en prenant en compte certaines recommandations. Cette loi permet désormais la présence de l’Etat dans la salle de coulage de l’or.
 
On s’est aussi rendu compte que l’Etat perdait beaucoup d’argent à travers les exonérations et n’avait pas beaucoup de moyens pour mesurer celles qu’il avait autorisées. On a donc demandé qu’un système soit mis en place pour que l’Etat soit capable d’évaluer ce qu’il perd en termes de dépense fiscale. Le gouvernement a mis en place un logiciel qui permet de collecter les données sur le secteur minier, Infocentre, pour procéder aux différentes analyses.
 
Au moment de l’enquête, Il y avait une prolifération des titres miniers, le cadastre minier était en cours d’informatisation. Nous avons donc recommandé la suspension des titres miniers et cela a été fait. Aujourd’hui on attend de mettre de l’ordre avant de reprendre la délivrance des titres.

Sur la question relative à l’emploi national, le code minier n’est pas précis. Il a simplement souhaité que les sociétés minières emploient les nationaux en priorité et qu’elles aient un plan de remplacement des expatriés par des nationaux. Des observations ont été faites, le gouvernement y réfléchit, et je pense qu’à la prochaine relecture du code cet aspect sera mieux précisé pour permettre un suivi et des contrôles de sa mise en œuvre.
 
De manière générale, nous notons la bonne volonté du gouvernement à mettre en œuvre nos recommandations parce que c’est une question qui préoccupe tout le monde.
 
Est-ce que la formation vous a donné une lumière pour la suite de votre engagement ?
 
Ces deux semaines de formation m’ont appris beaucoup de choses. J’ai appris à travers les cours théoriques, la sortie sur le terrain et à travers les échanges avec les autres camarades. Tout d’abord, j’utilisais certains termes dont je ne maitrisais pas forcément le contenu, et j’en ai découvert d’autres. Il y a des questions que je pourrais faire intégrer dans les prochaines recommandations, notamment, le contenu local.  Il y a aussi la question de la modélisation financière comme outil de négociation des contrats.  J’en parlerai au comité de suivi et nous allons vérifier l’existence et l’utilisation des modèles financiers des différents projets et éventuellement interpeller le gouvernement à travers les questions orales pour qu’il développe ses propres modèles financiers. A travers les questions orales et les questions écrites, je ferai en sorte que ce que j‘ai appris ici puisse servir à la bonne gouvernance.
 
Christophe Tiyong est associé de programme régional Afrique pour NRGI.
 
Cet entretien a été édité et compressé pour plus de clarté et de concision. Un autre lien utile ici.