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Les ambitions minières de la Guinée et la mutualisation des infrastructures

En Guinée depuis 2014, 11 nouveaux projets de bauxite ont vu le jour, portant en 2018 le total à 26. Avec 18 millions de tonnes (Mt) produites en 2015, 43 Mt en 2017, Bel-Air Mining et CBG (extension) qui entrent en production, la Guinée pourrait atteindre les 70 Mt en 2019, c’est-à-dire dépasser la Chine (68 Mt en 2017) et devenir le deuxième producteur mondial après l’Australie (83 Mt en 2017). On observe alors une multiplication des infrastructures portuaires : depuis 2015, deux ports ont été construits par la SMB au nord-ouest sur le fleuve Rio Nunez à Katougouma sur 70 ha et à Dapillon sur 300 ha. 31 Mt de bauxite y ont été acheminées en 2017, transportées par camions via des pistes minières, puis convoyées aux larges par barges sur 80 km en 10h. Au regard de ces tracasseries, la SMB imaginerait une voie ferrée de 120 km entre le gisement et ses ports. Plus largement, les entreprises sont ainsi incitées à explorer toutes les opportunités de mutualisation sur les infrastructures publiques ou privées déjà opérationnelles, mais aussi sur de nouvelles dont le port en eaux profondes (corridor nord, région de Boké), là où se concentreront plus de 60% des projets.
 
C’est l’ambition du schéma directeur d’aménagement des infrastructures minières (SDIAM) actualisé que le Ministère des Mines et de la Géologie a présenté le 31 juillet 2018 à Conakry, prenant une option forte pour la mutualisation, pour réduire les coûts financiers, sociaux et environnementaux des projets miniers.
 

Carte des projets miniers en Guinée (SDIAM 2018)

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Si l’ensemble des projets actuels devaient se réaliser comme prévu, la Guinée produirait jusqu’à 221 Mt de bauxite en 2020 et 330 Mt en 2030. De quoi écrouler un marché mondial (qui croît certes rapidement aussi mais) qui représentait à peine 300 Mt en 2017. Même en restant sur des hypothèses plus raisonnables, les capacités portuaires guinéennes actuelles de 60 Mt sont à la hauteur des besoins à court terme, mais ne pourront pas traiter les 175 Mt probables à long terme. Les entreprises se montrent ouvertes à la mutualisation car pour certaines, les capacités vont rapidement saturer, et d’autres (CBG, GAC et COBAD) expérimentent déjà depuis 2015 avec l’Agence Nationale des Infrastructures Minières (ANAIM) le partage d’infrastructures ferroviaires et portuaires. Mais pour toutes, d’importantes questions restent en suspens, notamment le financement et la gestion des infrastructures mutualisées, l’évaluation coûts de la coordination/bénéfices de la mutualisation, et les implications fiscales d’un tel bouleversement du secteur des transports. Le Ministre des Mines et de la Géologie, M. Abdoulaye Magassouba, ne s’y est pas trompé en affirmant : « les miniers préfèrent réaliser seuls les infrastructures et nous le comprenons car le partage des risques est quelque chose de complexe ». Mais il a tenu à les rassurer : « Toutes les parties sortiront gagnantes du processus de mutualisation, grâce à un intérêt commercial partagé car nous tenons à ne pas altérer la base commerciale des projets ». Rappelons que la bauxite représente 83% des revenus miniers de l’Etat guinéen, qui eux représentent 25% du budget national.
 
Cela étant, dans le contexte africain actuel de promotion de la transformation structurelle des économies et de la diversification, il est surprenant que les projections de flux miniers dans ce schéma directeur tiennent peu compte de la transformation locale, alors même que huit projets d’usine d’alumine sont à l’étude en Guinée. En outre, d’autres produits, comme le fer et le cobalt ne sont pas pris en compte, au moins à long terme, alors que le gouvernement tient à ce que les flux du projet Simandou (fer) à l’est soient écoulées via le territoire guinéen, et qu’il poursuit la recherche d’autres substances.
 
Par ailleurs, le SDIAM souligne à juste titre que la mutualisation libèrera plusieurs communautés locales des impacts environnementaux et sociaux, tout en les concentrant sur les zones de mutualisation. Les mesures d’atténuation envisagées sont classiques, mais les compensations collectives se limitent à des projets socio-culturels, alors que le schéma rappelle que la mutualisation réduira en soi le nombre d’emplois liés au transport. Les principes 5, 9 et 10 de la Charte NRGI des ressources naturelles et d’autres travaux de NRGI peuvent être inspirants à ce sujet. L’impératif de diversifier l’économie guinéenne devrait susciter la création de nouvelles chaines de valeur industrielles locales, et là aussi, les moyens de ces projets d’infrastructures pourraient être mutualisés.
 
Enfin, une manière de susciter l’adhésion des populations riveraines à ces projets serait d’explorer le partage des infrastructures avec des activités commerciales de transport de passagers et de marchandises conventionnelles. Cette autre mutualisation est de plus en plus recommandée par des chercheurs et par des organisations d’appui au développement afin d’amplifier la contribution de l’activité minière au développement durable.
 
Hervé Lado est responsable pays pour le Natural Resource Governance Institute en Guinée.