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Outils pour les négociateurs africains dans les projets d’infrastructures financés par la Chine

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Partout, les négociations entre gouvernements et investisseurs étrangers révèlent diverses asymétries qui façonnent les rapports de forces et influencent les résultats. Les négociations Afrique-Chine n’y font pas exception. En ce qui concerne les projets extractifs et d'infrastructures, secteurs où la Chine investit massivement, ces particularités méritent d'être examinées de près, en lien avec le niveau croissant d'endettement de l'Afrique envers la Chine, et les crises financières dues au COVID-19. Pour la première fois, une quinzaine de négociateurs de pays d'Afrique de l'ouest et du centre impliqués dans les négociations avec la Chine se sont réunis en atelier à huis clos fin 2019 à Cotonou (Bénin) pour partager leurs expériences, invités par le programme Global Economic Governance de l’Université d’Oxford. Les discussions ont permis de dégager bonnes pratiques et leçons qui permettraient aux gouvernements africains de tirer davantage parti des accords avec cet important partenaire.

Constituer des équipes de négociation multisectorielles et informées

Les négociateurs africains ont fait le constat que, comme les équipes africaines, les chinoises sont aussi confrontées à des rivalités internes, notamment entre représentants des ministères des Affaires Etrangères et du Commerce, et ceux des agences financières comme EximBank China et Sinosure, au moment où la Chine durcit ses règles de financement. Ils soulignent toutefois la cohérence globale des équipes chinoises une fois à la table de négociations. Pour eux, les gouvernements africains gagneraient à mieux structurer leurs équipes en nombre et en qualité, les écueils courants consistant à négliger la coordination interministérielle pour se retrouver à la table dans un ratio d'un Africain pour trois Chinois. Dans certains pays africains toutefois, le secteur privé, les parlementaires et les élus locaux sont désormais impliqués dans la préparation des négociations afin de renforcer la position du gouvernement.

A Cotonou, les négociateurs ont identifié des astuces pour améliorer les performances des équipes :

  • Toujours rédiger et faire parapher par les deux parties les procès-verbaux des réunions pour acter les progrès et prévenir la tendance à revenir sur les acquis ;
  • Souligner la nature non contraignante des protocoles d'accord qui, selon les négociateurs africains, sont préférés par les investisseurs chinois aux contrats formels ;
  • Préserver, par des rémunérations appropriées, l'intégrité des équipes africaines, quoique les risques de corruption ne sont pas exclusifs aux deals avec la Chine ;
  • Constituer une équipe Chine avec des experts nationaux parlant chinois et au fait des spécificités culturelles chinoises.

Faire confiance aux normes nationales et traiter les asymétries d'information courantes

Sur les aspects des négociations relatifs à la mise en œuvre, les négociateurs de Cotonou observent que nombre de pays africains ont établi la règle non écrite de recourir à un prestataire non chinois pour assurer le contrôle d’un projet attribué à une entreprise chinoise. Ils notent toutefois que dans la plupart des pays africains, les normes chinoises sont les bienvenues si elles ne contredisent pas les normes nationales. Ce qui suggère qu'en constituant des équipes nationales Chine, les gouvernements africains gagneraient à les former aux normes chinoises, afin d'être en mesure, lorsque cela est pertinent, de rendre les entreprises chinoises redevables de leurs propres normes.

Quant aux asymétries d'information, les praticiens recommandent que les gouvernements africains s’assurent d’une communication fluide entre l'ambassade de Chine, l'entreprise chinoise locale et sa maison-mère, car le défaut de communication entre ces parties prenantes pendant les négociations a pu compromettre certains projets. Les négociateurs ont également trouvé utile que les gouvernements vérifient auprès d’autres pays les précédentes prestations déclarées par les entreprises chinoises, afin de dissuader les échanges de références observés entre les entreprises d'un même groupe. Ils ont par ailleurs noté que les demandes courantes d'exonérations fiscales, sont plus nombreuses dans les négociations avec les investisseurs chinois, qui mettent en avant la complexité de leurs projets, l'importance des capitaux mobilisés, la rapidité dans la livraison, ou la difficulté à recouvrer la TVA, alors qu'il est établi que les incitations fiscales ne sont pas les premiers déterminants des décisions d'investissement. Cet aspect du débat a suggéré que les gouvernements africains pourraient améliorer leur position dans les négociations en exploitant la base de données mondiale des contrats extractifs pour vérifier les références des entreprises chinoises ainsi que les dispositions particulières négociées dans d'autres juridictions.

En cas de blocage des négociations, la partie chinoise a tendance à solliciter divers acteurs gouvernementaux, ainsi que la présidence, pour tenter de revenir aux négociations dans une meilleure position. Pour les négociateurs de Cotonou, une coordination interministérielle appropriée et la création par loi de l'équipe nationale Chine pourront dissuader de tels comportements.

Sollicitez l'expertise juridique et financière externe au besoin

L'expertise externe peut être utile dans les domaines où la partie africaine manque de capacités, à l’instar de l'expertise juridique proposée par la Facilité Africaine de Soutien Juridique de la Banque Africaine de Développement ou par le programme CONNEX basé en Allemagne. Un autre domaine où l’expertise reste à développer en Afrique, et où Natural Resource Governance Institute (NRGI) accompagne les gouvernements, est celui de la modélisation financière et fiscale des projets. Comme ces accords sont d’autant plus influencés par la politique qu’ils sont complexes, en particulier lorsque les ressources naturelles sont utilisées pour rembourser ou garantir des prêts, leur contenu devrait être soumis à l'examen des citoyens et des institutions nationales de contrôle pour garantir la redevabilité.

En définitive, observant les trois dernières décennies de négociations en Afrique, dans un contexte d’asymétries de pouvoirs avec la Chine dont la rhétorique gagnant-gagnant ne peut à elle seule rééquilibrer les forces, les gouvernements africains ont fait preuve de résilience et d'innovation. Au niveau continental, l'Union Africaine est bien inspirée d'envisager la création d'une plateforme régionale Chine pour définir des approches de négociation communes, et encourager les parties prenantes africaines et les partenaires chinois à continuer à dégager de bonnes pratiques des interactions mutuelles.

Hervé Lado est responsable pays pour Natural Resource Governance Institute en Guinée.Folashadé Soulé est une chercheure associée senior à l’Université d’Oxford (Blavatnik School of Governance).