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Vers une plus grande transparence des propriétaires réels des entreprises extractives en Guinée

Les révélations des « Panama Papers » en 2016 et les enquêtes qui ont suivi ont suscité un intérêt grandissant du public à propos des personnes physiques qui se trouvent en dernier ressort derrière les entreprises, autrement dit leurs propriétaires réels. Cette question, particulièrement dans le secteur extractif, peut toucher à des sujets sensibles, liés à des problèmes de favoritisme et de corruption, notamment autour des personnes politiquement exposées. En Guinée, l’influence que Mamadie Touré, quatrième épouse de l’ancien président Lansana Conté, a exercé dans l’attribution de deux blocs du gisement de fer de Simandou dans les années 2000 est un cas illustratif.
 

Truck hauling ore from Guinea’s Karta Pit / CC BY-SA 3.0 darrylkeith

La divulgation des propriétaires réels des entreprises doit permettre à la Guinée de connaître l’identité de ceux qui exploitent ses ressources naturelles et d’éviter ainsi ces problèmes d’influence ou de corruption dans l’octroi des titres miniers. Le Code Minier de 2011 (articles 91-IV et 153 ; amendé en 2013) traite déjà de la notion de contrôle effectif et oblige tout titulaire ou demandeur d’un titre minier à fournir au Centre de Promotion et de Développement Minier (CPDM) l’identité de toutes les parties ayant des intérêts dans ce titre. Il interdit également aux fonctionnaires d’avoir des intérêts dans le secteur minier (art. 8). Pour aller plus loin, la Guinée s’est engagée, dans le cadre de l’ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives), à publier l’ensemble des propriétaires réels dans le secteur minier d’ici à 2020.
 
Quelles avancées en Guinée ?
 
En Guinée, une feuille de route pour la divulgation de la propriété réelle a été adoptée en décembre 2016 par le Comité de Pilotage de l’ITIE (ci-après Comité), une structure tripartite formée de représentants du gouvernement, des entreprises et de la société civile ayant pour mission la mise en œuvre de l’ITIE.  Cette feuille de route se fixe comme objectifs l’adoption d’une définition des termes « propriétaires réels » et « personnes politiquement exposées (PPE) », et le renforcement du cadre légal en vue de la création d’un registre public des propriétaires réels. Si la définition des PPE n’a pas encore été finalisée, le Comité a adopté une définition du concept de propriété réelle, prenant en compte les articles susnommés du code minier de 2011 et l’article 113 du code pétrolier de 2014. D’après cette définition, l’identité de tout individu possédant ou contrôlant (directement ou indirectement) plus de 5% d’une entreprise devra être divulguée. Le Comité a également élaboré un avant-projet de loi sur la propriété réelle qui identifie le CPDM comme l’entité en charge du registre des propriétaires réels des entreprises minières. Il doit finaliser cet avant-projet, puis le faire approuver par le Ministère des Mines et de la Géologie et le transmettre à l’Assemblée Nationale pour la prochaine session des lois en avril 2019. 
 
Quelles informations dans le rapport ITIE 2016 ?
 
En juin 2018, la Guinée a publié son dernier rapport ITIE portant sur l’année 2016. Ce rapport représente un pas important en matière de divulgation de la propriété réelle des entreprises minières. Toutefois, le faible taux de déclaration laisse une marge d’amélioration considérable d’ici 2020. 22 des 36 entreprises prises en compte dans le rapport étaient tenues de divulguer leurs propriétaires réels. Il s’agissait des entreprises privées non cotées en bourse, celles cotées pouvant simplement renvoyer aux déclarations qu’elles fournissent déjà aux instances de régulation boursière. Parmi ces 22 entreprises, seulement deux ont fourni des informations exhaustives. 14 n’ont livré aucune information. Et parmi les cinq entreprises qui contribuent le plus aux revenus miniers de l’Etat, si trois d’entre elles sont cotées en bourse (Société Anglogold Ashanti de Guinée, Société Minière de Dinguiraye, Compagnie de Bauxite de Kindia), les deux autres (Compagnie des Bauxites de Guinée et Société Minière de Boké) ont fait des déclarations jugées insuffisantes.
 
Par ailleurs, la norme ITIE 2.5.e exige qu’un mécanisme de fiabilisation des déclarations des propriétaires réels soit défini. Dans le cadre du dernier rapport de la Guinée les déclarations ont été validées par « la signature d’un haut responsable ou d’une personne habilitée à engager l’entreprise », attestant « que les données déclarées sont exactes ». Un enjeu majeur serait de mettre en place un mécanisme plus solide de contrôle des informations divulguées, des procédures de vérification de celles-ci et des possibilités de « pénalités » dans les cas de déclarations fausses ou incorrectes. Pour Alpha Abdoulaye Diallo, président de la coalition Publiez Ce Que Vous Payez en Guinée et membre du Comité, « la divulgation des propriétaires réels est un élément de transparence important pouvant surtout faire la lumière sur les conditions d’octroi de titres ».
 
Quelles perspectives immédiates ?
 
Le rapport ITIE Guinée 2017 attendu avant la fin de cette année représente une opportunité immédiate pour sensibiliser et mobiliser un plus grand nombre d’entreprises extractives, afin de créer un élan autour de la question des propriétaires réels. L’ensemble des parties prenantes, du gouvernement aux représentants des entreprises et de la société civile, doivent œuvrer de concert pour que la Guinée poursuive sa dynamique réformatrice en vue d’une meilleure gouvernance du secteur et des revenus extractifs.
 
Sun-Min Kim est chargée de programme au bureau NRGI en Guinée. Matthieu Salomon est senior governance officer à NRGI.

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