Les pays africains riches en ressources doivent réformer leurs systèmes fiscaux pour se préparer à la transition énergétique
Récemment, l'Afrique a suscité un intérêt mondial croissant en raison de son immense potentiel en matière de sources d'énergie renouvelable, telles que le solaire, l'éolien et l'hydroélectricité. Selon le Forum économique mondial, le continent a la capacité d'accroître considérablement sa part d'énergie renouvelable dans le mix énergétique global. Les énergies renouvelables revêtent une importance cruciale pour l'avenir de l'Afrique, qui est prévue d’accueillir 2 milliards d'habitants d'ici à 2050.
Cependant, pour que les citoyens africains puissent bénéficier pleinement de cette transition, il est impératif que les gouvernements entreprennent des réformes fiscales substantielles. La garantie de politiques fiscales transparentes et équitables, ainsi que la création d'un environnement propice aux investissements dans les énergies durables, joueront un rôle crucial dans la facilitation de la transition efficace des combustibles fossiles vers des sources d'énergie plus respectueuses de l'environnement. Ces dernières années, des pays tels que la Tunisie et la République Démocratique du Congo (RDC) ont déjà entrepris la mise en œuvre de telles réformes, démontrant ainsi le potentiel de changement positif dans le paysage énergétique du continent.
Assurer l'avenir de la fiscalité minière des ressources naturelles
Pour garantir une fiscalité minière des ressources adaptée à l'avenir, trois principaux axes sont essentiels. Tout d’abord, il est crucial que les gouvernements revoient les exonérations fiscales accordées aux entreprises du secteur extractif, notamment en assurant un suivi et un encadrement rigoureux de ces exonérations par les autorités fiscales. Ensuite, il est important que les autorités fiscales contrôlent attentivement les coûts de recherche et d’exploitation déclarés par les compagnies minières pour l’établissement des états financiers. Enfin, le troisième axe porte sur le partage des expériences de certains pays sur l’appui de la fiscalité à la transition énergétique. Il s’agit notamment des mesures fiscales utilisés par les autorités pour accompagner la transition énergétique.
La fiscalité des industries extractives revêt d’une complexité stratégique. L'équilibre entre l'incitation à l'investissement et une fiscalité équitable est un point d'articulation critique. Il s'agit non seulement de maximiser les revenus, mais aussi de créer un environnement propice aux affaires. C’est dans cette perspective que la refonte en 2018 du code minier a cherché d’instaurer un équilibre dans la conception des politiques fiscales entre l’intérêt de l’Etat hôte, la RDC en l’occurrence, et les attentes des investisseurs étrangers. D’ailleurs, l’incitation fiscale doit être conçue comme un outil pour attirer les opérateurs sans altérer l’équilibre économique des investissements dans le secteur extractif.
La transparence et la responsabilité sont aussi des piliers incontournables pour une fiscalité optimale. Ce point est crucial pour établir la confiance entre les gouvernements, les entreprises et les citoyens, ce qui a un impact direct sur la stabilité politique et macroéconomique. Cette démarche reflète le souhait de responsabiliser l’investissement pour répondre aux aspirations des différentes parties prenantes.
Repenser les régimes fiscaux à travers la transition énergétique
La transition énergétique offre une opportunité de réexaminer les régimes fiscaux. Le défi est de faire en sorte que les nouvelles sources de revenus possibles ne reproduisent pas les inefficacités passées liées à la fiscalité du secteur.
L'adhésion aux cadres internationaux, tels que le Cadre inclusif de l'OCDE, peut parfois négliger les spécificités locales et les besoins uniques des pays africains en transition énergétique. Des solutions locales pourraient donc être plus efficaces que des approches monolithiques.
Enfin, l’importance de la mobilisation des ressources fiscales et de la modernisation des régimes fiscaux est un autre point clé. Les gouvernements doivent être agiles, capables de s’adapter aux évolutions du marché et aux normes internationales, tout en tenant compte des réalités locales.
Ces réflexions suggèrent que la fiscalité dans le secteur extractif n’est pas seulement une question technique, mais aussi une question profondément stratégique nécessitant une vision intégrée.
Surmonter les obstacles
Des orientations stratégiques cruciales pour les pays dotés de richesses minérales se dessinent, dont l’urgence de repenser le régime fiscal minéral. Il ne s’agit pas simplement d’ajuster les taux d’imposition, mais de revisiter le système fiscal en intégralité. Cela implique un examen approfondi des incitations fiscales actuelles, un suivi rigoureux des coûts de production et d’exploration, et des investissements dans la connaissance géologique. Le but est une démarche holistique, étayée par des données fiables, qui permettrait une meilleure négociation des contrats extractifs.
En termes de priorités immédiates, la lutte contre la corruption au sein des agences fiscales est cruciale afin de renforcer la crédibilité des systèmes fiscaux. Un accent particulier est également mis sur le partage des revenus, en intégrant les dimensions d'inégalité économique et de genre. En parallèle, un mécanisme robuste de partage des revenus doit être mis en place, intégrant non seulement les aspects économiques, mais aussi les dimensions sociales et de genre.
Plaidoyer pour une fiscalité transparente et équitable
Du côté des orientations pour le plaidoyer, trois axes se dégagent. Premièrement, une évaluation rigoureuse des incitations fiscales, associée à une sensibilisation citoyenne, pourrait dynamiser la transition énergétique en favorisant une fiscalité plus durable. Deuxièmement, une gestion des revenus en toute transparence, appuyée par des études justifiant l'apport communautaire des revenus issus de l'exploitation minière, pourrait instaurer un cadre plus juste. Troisièmement, la publication régulière de rapports sur les dépenses fiscales contribuerait à la transparence et à la responsabilité gouvernementale. Cela permettrait de consolider la confiance entre les populations locales et les autorités gouvernementales pour promouvoir un climat d’investissement où les tensions communautaires seraient canalisées en un rapport de collaboration entre les deux parties.
En effet, le manque de communication autour des recettes fiscales provenant de l’exploitation des ressources naturelles dans les régions minières en Tunisie a alimenté des tensions sociales qui auraient pu être dissipées par une meilleure implication des citoyens dans la gouvernance de ces ressources. D'ailleurs, la Tunisie a entamé un processus de refonte de son organisation administrative avec l'introduction de nouveaux organes décentralisés et déconcentrés capables de jouer un rôle important pour renforcer les concertations entre citoyens et autorités dans la gestion des recettes de ces ressources.
Sur le plan stratégique, la refonte complète du régime fiscal minéral est incontournable. Il ne s'agit pas simplement d'ajustements marginaux, mais d'une révision structurelle qui doit être soutenue par une base de données solide et une vision à long terme. Ce changement doit être guidé par une gouvernance transparente et une participation multi-acteurs, incluant les citoyens et les organisations de la société civile.
Un défi complexe
La fiscalité dans le secteur extractif n'est donc pas un enjeu isolé, mais un défi complexe qui exige une vision stratégique intégrée. Cette vision doit intégrer des éléments de transparence, d'équité sociale et de durabilité environnementale pour être véritablement efficace.
La transparence doit être érigée en principe fondamental, soutenue par des publications régulières et accessibles sur les dépenses et revenus fiscaux. Cela contribuerait non seulement à la responsabilité gouvernementale, mais aussi à une plus grande implication citoyenne dans la surveillance et la gouvernance du secteur extractif.
De plus, il est impératif de souligner que cette vision stratégique doit également prendre en compte la transition énergétique, reconnaissant que la fiscalité dans le secteur extractif joue un rôle crucial dans la promotion des énergies durables en Afrique. Cela contribue non seulement à l'adoption de sources d'énergie plus propres, mais aussi à la réduction de notre dépendance aux combustibles fossiles, établissant ainsi un lien essentiel entre les enjeux fiscaux et les impératifs d'un avenir énergétique durable sur le continent.
A propos des auteurs
Mohamed Adem Mokrani est Avocat et Conseiller juridique de Tunisia Energy Society TENS.
Aissami Tchiroma est le Directeur de Projets et Programmes de ROTAB NIGER- Publiez Ce Que Vous Payez.
Les auteurs ont assisté à un programme de renforcement de capacités sur la fiscalité minière en Afrique, mené par NRGI et le NADEL-Centre pour le développement et la coopération de l'ETH Zürich au mois de juin 2023, autour de la conférence mondiale sur l'avenir de la fiscalité des ressources. Ils ont basé l'analyse ci-dessus sur les discussions qui ont eu lieu lors de l'événement.
Les candidatures pour l'édition 2024 en ligne du cours avancé sont ouvertes. Le cours sera dispensé en anglais en partenariat avec le Centre NADEL pour le développement et la coopération de l'ETH Zurich.